CADRE 2 – ESPACES PUBLICS
INTRODUCTION
La seconde partie de ce travail s’intéresse au rôle et à l’importance de régulation des espaces publics dans le développement et l’aménagement des centres-villes, afin que ceux-ci participent à la qualité de vie urbaine. Il faut considérer comme espace public urbain, l’ensemble des espaces de passage et de rassemblement qui sont destinés à l’usage de tous et qui du même coup n’appartiennent à personne en particulier. Ils relèvent majoritairement du domaine public, mais pour quelques cas du secteur privé. L’espace public forme également l’élément structurant du tissu urbain qui relie entre eux les parcelles et les îlots, en plus d’influencer sur la densité et sa perception. Formellement, l’espace public se traduit en rues et en places dans leur définition générale.
La création d’espaces urbains de qualité est influencée par la recherche d’un idéal de ville selon des facteurs déterminants : « les villes animées, sûres, durables et saines » (Gehl, 2012 : 18). Ces quatre objectifs à atteindre (animation, sécurité, durabilité et santé) se manifestent par des choix dans l’aménagement urbain de la ville et en particulier par le choix d’implantation d’espaces publics approprié pour les usagers. Plusieurs facteurs peuvent influencer la fonctionnalité ou la non-fonctionnalité d’un espace public et, par le fait même, contribuer positivement ou égativement à la qualité de vie urbaine. On dira alors d’une ville qu’elle est vivante, ou à l’opposé qu’elle est morte. Un espace public vivant favorise l’expérience collective et le contact social. C’est un processus qui s’autoalimente : « les gens vont là où il y a du monde » (Gehl, 2012 : 77) et qui nécessitent une hiérarchisation fine des espaces publics comme facteur de réussite.
L’espace public ne doit pas être perçu comme ayant une limite tangible, soit une différenciation rigoureuse et systématique entre le bâti et
l’espace ouvert extérieur. L’implantation et le type de bâtiment influencent grandement la perception de l’espace public avec lequel il est en relation directe, et par le fait même son succès. En effet, le bâti est l’élément structurant de l’espace urbain, il peut faire partie d’un système de réseaux et de places publiques organisés de manière hiérarchique pour faciliter la lisibilité des espaces (Gehl, 2012). De plus, la question de densité, de volumes, de hauteur et d’encadrement des rues par les bâtiments influence la perception de l’espace urbain qui nous entoure (Vettel, 1985). L’interface entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment intervient aussi comme une notion qui agit sur la qualité de l’espace public. Ainsi, les sujets de l’échelle du bâti, de son harmonie avec le contexte et de son ouverture de façade au niveau de la rue sont quelques-unes des considérations à prendre en compte lors de la conception d’espaces publics dans un grand centre-ville (Vettel, 1985).
CRITIQUE DU MODERNISME
L’idéologie moderne est devenue dominante vers 1960 et on perçoit encore aujourd’hui ses principes dans plusieurs nouvelles zones urbaines. À cette époque, on observait pour une première fois depuis que l’humain est devenu sédentaire, des villes qui n’étaient pas construites comme étant des agglomérations de zones urbaines, mais bien un ensemble de bâtiments isolés les uns des autres. Les adeptes modernistes ont repensé l’environnement urbain de manière fragmenté telle une « machine city » (Banerjee & Loukaitou-Sideris, 2007 : 45) et très peu d’importance a été accordée à sa dimension humaine. « Les modernismes ont rompu avec la ville et l’espace urbain en concentrant leur attention sur les immeubles considérés isolément » (Gehl, 2012 : 16) L’espace public, les déplacements à pied et le rôle de la ville comme lieu de rencontre pour les citadins sont des éléments qui ne sont pas envisagés par les modernistes. Dans son ouvrage précurseur « Déclin et survie des grandes villes américaines », Jane Jacobs décrit l’idéologie moderniste de la planification urbaine comme étant la construction d’immeubles isolés de leur environnement, entrainant une suppression de l’espace urbain et la création de villes mortes et désertées.
Alors qu’autrefois on planifiait le design urbain en s’intégrant aux constructions présentes dans la ville afin de créer de nouveaux espaces
urbains intéressants, les architectes et urbanistes modernes, pour leur part, visent davantage un contraste avec l’existant, réduisant considérablement la qualité des espaces urbains. On remarque alors des problèmes d’échelle et de proportion entre les bâtiments ainsi qu’une rigidité qui brise la diversité urbaine. La cohésion architecturale et l’orientation du piéton dans les centres-villes commencent à se dissiper, laissant place à des environnements plus stériles, telles que les « tours-dans-le-parc », souvent implantées avec des places publiques non-fonctionnelles (Vettel, 1985).
Dans la planification d’une nouvelle zone urbaine, le travail de l’urbanisme peut se diviser selon trois échelles différentes : grande, moyenne et petite. Ces trois échelles sont normalement prises en compte dans une planification urbaine idéale et combinées dans un tout cohérent : la grande échelle, celle où l’on planifie la ville dans son ensemble à très grande distance; l’échelle médiane, où l’on planifie la disposition des immeubles et des espaces urbains en analysant toujours la ville de haut et la petite échelle ou plutôt l’échelle humaine, celle de la ville qu’on perçoit à la hauteur du regard. Idéalement, l’ordre des priorités dans la planification des villes est d’abord de concevoir la vie urbaine, c’est-à-dire la plus petite échelle, pour ensuite s’attarder aux espaces urbains, et finalement les immeubles. Ce n’est qu’à la venue du mouvement moderne et de ses principes que l’ordre s’inverse : les grandes lignes urbaines sont conçues en premier lieu, ensuite l’implantation des bâtiments, pour finalement se pencher sur les espaces résiduelles entre ceux-ci. (Gehl, 2012) Inévitablement, cette façon de procéder n’a pu conduire à la création d’espaces urbains accueillants, puisqu’ils sont considérés en dernier lieu et subissent les conséquences d’une implantation inadéquate. L’échelle humaine, qui a pour préoccupation la qualité de l’espace urbain occupé par les citadins au quotidien, est complètement ignorée par les urbanistes modernes. Seules les deux échelles les plus éloignées sont traitées, ce qui entraîne comme résultat des villes où « la dimension humaine est cruellement absente. » (Gehl, 2012 : 206)
Un exemple éloquent de cette approche s’observe dans la capitale Brasilia. Vue de très haut, cette planification urbaine qui a la forme d’un aigle, demeure très intéressante, mais lorsqu’elle est perçue à la hauteur du regard, ces grands édifices blancs disposés autour de vastes espaces verts sont un véritable désastre. La rigidité du plan crée des espaces urbains trop vastes qui ne possèdent pas de limites claires et visibles, en plus des rues surdimensionnées et des trottoirs rectilignes qui semblent interminables. Une planification où l’on a explicitement planifié la ville de la perspective d’un hélicoptère (Gehl, 2012).
Durant la seconde moitié du 20e siècle, en même temps que l’adoption du mouvement moderne à l’échelle urbaine, une nouvelle branche du génie civil apparaît : l’analyse du trafic autoroutier. Un domaine qui se crée pour accommoder les véhicules motorisés avec comme seul objectif, le déplacement et le stationnement des voitures (Birch, 2002). L’aspect le plus négatif de cette évolution est certainement la méthode permettant de catégoriser les différents flux selon les différentes voies de circulation dans la ville. Très peu d’attention n’est alors accordée aux piétons, cyclistes et transport collectif.
Des centaines de villes adoptent cette façon de faire et cette obsession excessive de toujours vouloir accommoder les automobilistes. Des interventions extrêmes apparaissent tel que les centres d’achat pour piétons, les réseaux souterrains piétonniers et les ponts et cheminements piétons sur dalle que l’on retrouve avec l’Embarcadero de San Francisco et le projet Mériadeck de Bordeaux (Birch, 2009). Ces deux derniers exemples démontrent clairement que les voitures et les piétons ne peuvent se partager la rue et doivent obligatoirement avoir leurs espaces séparés. Suite à cette configuration, les rues se sont appauvries et l’usage de l’automobile est devenu nécessaire, voire même essentiel. Dans certaines villes, il était presque devenu dangereux de parcourir certains secteurs à pied. L’importance de la rue comme élément fondamental dans la construction d’une communauté a donc été réduite à sa simple fonction de trafic autoroutier.
PRIVÉ / PUBLIC
Une ville est attrayante et attire de nouveaux développements et de nouveaux résidants lorsqu’elle investit dans le domaine public (rues, trottoirs, espaces publics et le transport collectif). La catastrophe des nouveaux centres-villes résulte en partie d’une planification urbaine laissée entre les mains du domaine privé.
Pendant les années suivant la Grande Dépression et la Deuxième Guerre mondiale, les grandes métropoles modernes n’investissent que très peu dans leur centre-ville (L. Hinshaw, 2007). Avec la diminution des ressources économiques, les gouvernements sont devenus de plus en plus dépendants des investisseurs privés. Les démarches effectuées par les municipalités en matière de design urbain sont écartées et laissées presque entièrement entre les mains des investisseurs privés. Les promoteurs décident donc de ce qui devrait être construit et à quel endroit et ils y voient une belle opportunité d’engendrer d’importants profits. Dans la poursuite de leurs propres intérêts individuels, ils préconisent la réalisation de grands projets d’immeubles à bureaux. Cette planification urbaine conduit formellement à une expansion des quartiers d’affaires et à de véritables milieux urbains inanimés (Heeg, 2012).
En réaction à ce problème, certaines villes établissent des règlementations quant à l’implantation des immeubles par rapport à l’espace public. À titre d’exemple, elle permet une plus grande densité lorsque le promoteur introduit dans sa planification un équipement public. Une mesure qui ne réussira toutefois pas à améliorer le sort de la planification des nouveaux centres. Les investisseurs profitent de cette flexibilité afin de densifier leurs immeubles et y intégrer des plazas inappropriées et non réfléchies qui deviennent inévitablement inutilisées (Vettel, 1985). On retrouve donc des centres-villes où les immeubles à bureau sont implantés dans des espaces publics vastes et sans véritables délimitations. (Banerjee & Loukaitou-Sideris, 2007) Le plan du centre-ville de Los Angeles est un bon exemple où la plupart des plazas se retrouvent dans des endroits isolés loin du réseau piéton ou des corridors de transport collectif.
PISTES DE SOLUTIONS
Les villes modernes, avec leurs espaces publics trop vastes et trop nombreux, créent généralement des milieux froids et peu invitants. Leurs aspects rigides et peu appropriables en font des espaces inutilisables et trop souvent désertés. Une fois les immeubles bâtis, leurs entrées établies et le mobilier urbain installé il en résulte fréquemment une déficience dans la qualité de l’espace et une absence d’échelle humaine. Selon l’architecte et urbaniste Jan Gehl, la mauvaise planification de ces espaces publics à l’origine rend les possibilités d’améliorations de l’environnement urbain très limitées : « La seule solution possible consiste alors à parachuter littéralement la petite échelle dans le vaste espace » (Gehl 2012). L’auteur fait référence ici à l’insertion de mobiliers urbains, d’arbres et de plantes dans le but de rendre les lieux appropriables, accessibles et agréables. Conséquemment, la qualité urbaine attendue s’avère alors plus difficile à atteindre que dans le cas des espaces conçus en intégrant dès le départ l’échelle humaine.
La richesse dans l’aménagement des espaces urbains contribue à une variété d’expériences sensorielles et à l’animation de la ville. « Le confort et la sensation de bien-être que procure une ville sont intimement liés au degré d’harmonisation de la structure et de l’espace urbains avec le corps et les sens humains, de même qu’avec les dimensions et l’échelle qui leur correspondent » (Gehl, 2012).
Dans certains cas, la ville est intervenue plus rapidement dans le processus de revitalisation des espaces publics des centres-villes et a freiné l’expansion du mouvement moderne. Les municipalités ont intégré des principes facilement applicables visant l’amélioration de la qualité physique de l’environnement urbain. Ces différents principes s’observent dans les planifications de plusieurs villes et se retrouvent entre autres parmi les qualités urbaines de Bentley.
Datant du milieu des années 60, la revitalisation du centre-ville de San Francisco est un exemple éloquent de l’application de principes d’aménagement urbain afin de freiner le déclin considérable de son quartier des affaires. Le développement immobilier des vingt dernières années démontrait des impacts dévastateurs de l’urbanisme moderne, au niveau esthétique et environnemental. Avant 1968, le centre-ville était zoné uniquement commercial, sans aucune limite de hauteur, de volume ou de densité. Plusieurs plans de développement urbain furent émis par la municipalité, mettant continuellement de l’avant l’amélioration de la qualité de l’espace public (Vettel, 1985). Le résultat de ces interventions s’interprète par l’application des principes d’analyse du milieu urbain selon les théories avancées par différents auteurs.
Au niveau de la perméabilité, San Francisco recommande fermement l'augmentation du nombre d’espaces publics au centre-ville, tels que : les jardins urbains, les parcs, les plazas, les terrasses, les snippet, les rues piétonnes et les atriums (Vettel, 1985). Bref, « An inviting outdoor environment is vital to provide a place for relaxation and means to escape the rigors of the workplace ». (Vettel, 1985 : 545) L’emplacement de l’espace public se détermine selon l’espace disponible, l’accès au soleil et sa proximité au réseau piéton. Il doit se situer à moins de 900 pieds de distance de marche pour tous les usagers des bâtiments du centre-ville (Vettel, 1985).
De plus, des mesures pour assurer la perméabilité et la robustesse de l’interface entre le bâtiment et la rue sont prises telles que : l’obligation d’insérer des commerces et services publics au rez-de-chaussée, l’intégration de plusieurs entrées au même bâtiment et l’élargissement des trottoirs de surface dur (Vettel, 1985). Dans le même ordre d’idée, Gehl avance le fait que le caractère des façades à l’échelle des piétons provoque un impact déterminant sur la vitalité de l’espace urbain. Les rez-de-chaussée se perçoivent de près, en plus de créer une relation d’entrée et de sortie des immeubles. L’auteur propose des principes essentiels quant aux caractéristiques que doivent prendre les façades longeant les cheminements piétons : l’échelle et le rythme, la transparence, l’appel des sens, la texture et les détails, la mixité des fonctions ainsi que les façades à axes verticaux.
San Francisco avait pour but de créer une expérience piétonne agréable, car la marche était un moyen de déplacement primordial pour la ville. La qualité des parcours piétons, en plus d‘être affectée par la forme physique et la diversité de l’environnement de la rue, se trouve largement influencée par le trafic automobile (Vettel, 1985). Plus récemment, un exemple d’interventions effectuées afin d’améliorer la marchabilité du centre-ville a été mis en oeuvre à Melbourne. Entre les années 1994 et 2004, un nombre important d’améliorations a été apporté dans le cadre d’un projet de rénovation urbaine visant à faire du secteur un pôle d’attraction animé. Une attention particulière a été portée à la conception de nouvelles places publiques qui offrent ainsi différents moyens de se déplacer dans la ville. Le Federation Square présente notamment plusieurs petits passages, ruelles et promenades longeant le fleuve Yarra qui permettent aux piétons et aux activités d’y prendre place. Ce virage piétonnier comprend un élargissement des trottoirs et l’intégration de nouveaux mobiliers urbains, suivi d’une stratégie de verdissement à grande échelle dans le but de protéger les nouveaux trottoirs et de multiplier les milieux ombragés (Gehl, 2012). D’autres interventions récentes ont été mises sur pied concernant plus particulièrement l’intégration des cyclistes. La ville de New York en 2007, a entrepris d’augmenter les possibilités de circuler à vélo dans la ville. Dans leur projet de la 9e avenue de Manhattan, une réflexion a été portée sur la diversité des circulations dans la rue par la délimitation des pistes cyclables grâce aux voitures stationnées. Une stratégie inspirée de ce que les Danois ont instauré dans la ville de Copenhague.
Avant 1968, San Francisco représentait bien l’idéal moderniste du développement unifonctionnel du centre-ville. À cette même année, le centre-ville fut divisé en quatre quartiers au zonage différents, avoir d’apporter le plus de mixité de fonctions possible et de préserver la diversité perceptuelle des espaces (Vettel, 1985). La mixité de fonction et la volonté d’implanter des complexes d’habitations au centre-ville s’avèrent être indissociables à la conception d’espaces publics attrayants pour les résidents (Birch, 2002). Dans les villes de Bellevue et Washington, l’intégration de grands parcs a amené quelques milliers de personnes à s’installer en bordure celui-ci. La ville de Vancouver perçoit aussi les parcs urbains comme une stratégie fondamentale pour inciter les familles à s’installer dans le centre-ville.
Un des éléments restrictifs majeurs instaurés par la ville de San Francisco, est le contrôle de la hauteur, du volume et de la densité des immeubles du centre-ville. Les limitations dans le développement du bâti participent subtilement à l’impact visuel que cela apporte à l’ambiance de la rue. Les voies du centre-ville possèdent, grâce à ces mesures, leur caractère paysager propre et permettent une meilleure lisibilité de l’environnement. L’encadrement des rues par le bâti favorise une continuité et une meilleure orientation dans la ville, en contradiction avec l’implantation de style « tour-dans-un-parc » du modernisme (Vettel, 1985).
INTRODUCTION
La seconde partie de ce travail s’intéresse au rôle et à l’importance de régulation des espaces publics dans le développement et l’aménagement des centres-villes, afin que ceux-ci participent à la qualité de vie urbaine. Il faut considérer comme espace public urbain, l’ensemble des espaces de passage et de rassemblement qui sont destinés à l’usage de tous et qui du même coup n’appartiennent à personne en particulier. Ils relèvent majoritairement du domaine public, mais pour quelques cas du secteur privé. L’espace public forme également l’élément structurant du tissu urbain qui relie entre eux les parcelles et les îlots, en plus d’influencer sur la densité et sa perception. Formellement, l’espace public se traduit en rues et en places dans leur définition générale.
La création d’espaces urbains de qualité est influencée par la recherche d’un idéal de ville selon des facteurs déterminants : « les villes animées, sûres, durables et saines » (Gehl, 2012 : 18). Ces quatre objectifs à atteindre (animation, sécurité, durabilité et santé) se manifestent par des choix dans l’aménagement urbain de la ville et en particulier par le choix d’implantation d’espaces publics approprié pour les usagers. Plusieurs facteurs peuvent influencer la fonctionnalité ou la non-fonctionnalité d’un espace public et, par le fait même, contribuer positivement ou égativement à la qualité de vie urbaine. On dira alors d’une ville qu’elle est vivante, ou à l’opposé qu’elle est morte. Un espace public vivant favorise l’expérience collective et le contact social. C’est un processus qui s’autoalimente : « les gens vont là où il y a du monde » (Gehl, 2012 : 77) et qui nécessitent une hiérarchisation fine des espaces publics comme facteur de réussite.
L’espace public ne doit pas être perçu comme ayant une limite tangible, soit une différenciation rigoureuse et systématique entre le bâti et
l’espace ouvert extérieur. L’implantation et le type de bâtiment influencent grandement la perception de l’espace public avec lequel il est en relation directe, et par le fait même son succès. En effet, le bâti est l’élément structurant de l’espace urbain, il peut faire partie d’un système de réseaux et de places publiques organisés de manière hiérarchique pour faciliter la lisibilité des espaces (Gehl, 2012). De plus, la question de densité, de volumes, de hauteur et d’encadrement des rues par les bâtiments influence la perception de l’espace urbain qui nous entoure (Vettel, 1985). L’interface entre l’intérieur et l’extérieur du bâtiment intervient aussi comme une notion qui agit sur la qualité de l’espace public. Ainsi, les sujets de l’échelle du bâti, de son harmonie avec le contexte et de son ouverture de façade au niveau de la rue sont quelques-unes des considérations à prendre en compte lors de la conception d’espaces publics dans un grand centre-ville (Vettel, 1985).
CRITIQUE DU MODERNISME
L’idéologie moderne est devenue dominante vers 1960 et on perçoit encore aujourd’hui ses principes dans plusieurs nouvelles zones urbaines. À cette époque, on observait pour une première fois depuis que l’humain est devenu sédentaire, des villes qui n’étaient pas construites comme étant des agglomérations de zones urbaines, mais bien un ensemble de bâtiments isolés les uns des autres. Les adeptes modernistes ont repensé l’environnement urbain de manière fragmenté telle une « machine city » (Banerjee & Loukaitou-Sideris, 2007 : 45) et très peu d’importance a été accordée à sa dimension humaine. « Les modernismes ont rompu avec la ville et l’espace urbain en concentrant leur attention sur les immeubles considérés isolément » (Gehl, 2012 : 16) L’espace public, les déplacements à pied et le rôle de la ville comme lieu de rencontre pour les citadins sont des éléments qui ne sont pas envisagés par les modernistes. Dans son ouvrage précurseur « Déclin et survie des grandes villes américaines », Jane Jacobs décrit l’idéologie moderniste de la planification urbaine comme étant la construction d’immeubles isolés de leur environnement, entrainant une suppression de l’espace urbain et la création de villes mortes et désertées.
Alors qu’autrefois on planifiait le design urbain en s’intégrant aux constructions présentes dans la ville afin de créer de nouveaux espaces
urbains intéressants, les architectes et urbanistes modernes, pour leur part, visent davantage un contraste avec l’existant, réduisant considérablement la qualité des espaces urbains. On remarque alors des problèmes d’échelle et de proportion entre les bâtiments ainsi qu’une rigidité qui brise la diversité urbaine. La cohésion architecturale et l’orientation du piéton dans les centres-villes commencent à se dissiper, laissant place à des environnements plus stériles, telles que les « tours-dans-le-parc », souvent implantées avec des places publiques non-fonctionnelles (Vettel, 1985).
Dans la planification d’une nouvelle zone urbaine, le travail de l’urbanisme peut se diviser selon trois échelles différentes : grande, moyenne et petite. Ces trois échelles sont normalement prises en compte dans une planification urbaine idéale et combinées dans un tout cohérent : la grande échelle, celle où l’on planifie la ville dans son ensemble à très grande distance; l’échelle médiane, où l’on planifie la disposition des immeubles et des espaces urbains en analysant toujours la ville de haut et la petite échelle ou plutôt l’échelle humaine, celle de la ville qu’on perçoit à la hauteur du regard. Idéalement, l’ordre des priorités dans la planification des villes est d’abord de concevoir la vie urbaine, c’est-à-dire la plus petite échelle, pour ensuite s’attarder aux espaces urbains, et finalement les immeubles. Ce n’est qu’à la venue du mouvement moderne et de ses principes que l’ordre s’inverse : les grandes lignes urbaines sont conçues en premier lieu, ensuite l’implantation des bâtiments, pour finalement se pencher sur les espaces résiduelles entre ceux-ci. (Gehl, 2012) Inévitablement, cette façon de procéder n’a pu conduire à la création d’espaces urbains accueillants, puisqu’ils sont considérés en dernier lieu et subissent les conséquences d’une implantation inadéquate. L’échelle humaine, qui a pour préoccupation la qualité de l’espace urbain occupé par les citadins au quotidien, est complètement ignorée par les urbanistes modernes. Seules les deux échelles les plus éloignées sont traitées, ce qui entraîne comme résultat des villes où « la dimension humaine est cruellement absente. » (Gehl, 2012 : 206)
Un exemple éloquent de cette approche s’observe dans la capitale Brasilia. Vue de très haut, cette planification urbaine qui a la forme d’un aigle, demeure très intéressante, mais lorsqu’elle est perçue à la hauteur du regard, ces grands édifices blancs disposés autour de vastes espaces verts sont un véritable désastre. La rigidité du plan crée des espaces urbains trop vastes qui ne possèdent pas de limites claires et visibles, en plus des rues surdimensionnées et des trottoirs rectilignes qui semblent interminables. Une planification où l’on a explicitement planifié la ville de la perspective d’un hélicoptère (Gehl, 2012).
Durant la seconde moitié du 20e siècle, en même temps que l’adoption du mouvement moderne à l’échelle urbaine, une nouvelle branche du génie civil apparaît : l’analyse du trafic autoroutier. Un domaine qui se crée pour accommoder les véhicules motorisés avec comme seul objectif, le déplacement et le stationnement des voitures (Birch, 2002). L’aspect le plus négatif de cette évolution est certainement la méthode permettant de catégoriser les différents flux selon les différentes voies de circulation dans la ville. Très peu d’attention n’est alors accordée aux piétons, cyclistes et transport collectif.
Des centaines de villes adoptent cette façon de faire et cette obsession excessive de toujours vouloir accommoder les automobilistes. Des interventions extrêmes apparaissent tel que les centres d’achat pour piétons, les réseaux souterrains piétonniers et les ponts et cheminements piétons sur dalle que l’on retrouve avec l’Embarcadero de San Francisco et le projet Mériadeck de Bordeaux (Birch, 2009). Ces deux derniers exemples démontrent clairement que les voitures et les piétons ne peuvent se partager la rue et doivent obligatoirement avoir leurs espaces séparés. Suite à cette configuration, les rues se sont appauvries et l’usage de l’automobile est devenu nécessaire, voire même essentiel. Dans certaines villes, il était presque devenu dangereux de parcourir certains secteurs à pied. L’importance de la rue comme élément fondamental dans la construction d’une communauté a donc été réduite à sa simple fonction de trafic autoroutier.
PRIVÉ / PUBLIC
Une ville est attrayante et attire de nouveaux développements et de nouveaux résidants lorsqu’elle investit dans le domaine public (rues, trottoirs, espaces publics et le transport collectif). La catastrophe des nouveaux centres-villes résulte en partie d’une planification urbaine laissée entre les mains du domaine privé.
Pendant les années suivant la Grande Dépression et la Deuxième Guerre mondiale, les grandes métropoles modernes n’investissent que très peu dans leur centre-ville (L. Hinshaw, 2007). Avec la diminution des ressources économiques, les gouvernements sont devenus de plus en plus dépendants des investisseurs privés. Les démarches effectuées par les municipalités en matière de design urbain sont écartées et laissées presque entièrement entre les mains des investisseurs privés. Les promoteurs décident donc de ce qui devrait être construit et à quel endroit et ils y voient une belle opportunité d’engendrer d’importants profits. Dans la poursuite de leurs propres intérêts individuels, ils préconisent la réalisation de grands projets d’immeubles à bureaux. Cette planification urbaine conduit formellement à une expansion des quartiers d’affaires et à de véritables milieux urbains inanimés (Heeg, 2012).
En réaction à ce problème, certaines villes établissent des règlementations quant à l’implantation des immeubles par rapport à l’espace public. À titre d’exemple, elle permet une plus grande densité lorsque le promoteur introduit dans sa planification un équipement public. Une mesure qui ne réussira toutefois pas à améliorer le sort de la planification des nouveaux centres. Les investisseurs profitent de cette flexibilité afin de densifier leurs immeubles et y intégrer des plazas inappropriées et non réfléchies qui deviennent inévitablement inutilisées (Vettel, 1985). On retrouve donc des centres-villes où les immeubles à bureau sont implantés dans des espaces publics vastes et sans véritables délimitations. (Banerjee & Loukaitou-Sideris, 2007) Le plan du centre-ville de Los Angeles est un bon exemple où la plupart des plazas se retrouvent dans des endroits isolés loin du réseau piéton ou des corridors de transport collectif.
PISTES DE SOLUTIONS
Les villes modernes, avec leurs espaces publics trop vastes et trop nombreux, créent généralement des milieux froids et peu invitants. Leurs aspects rigides et peu appropriables en font des espaces inutilisables et trop souvent désertés. Une fois les immeubles bâtis, leurs entrées établies et le mobilier urbain installé il en résulte fréquemment une déficience dans la qualité de l’espace et une absence d’échelle humaine. Selon l’architecte et urbaniste Jan Gehl, la mauvaise planification de ces espaces publics à l’origine rend les possibilités d’améliorations de l’environnement urbain très limitées : « La seule solution possible consiste alors à parachuter littéralement la petite échelle dans le vaste espace » (Gehl 2012). L’auteur fait référence ici à l’insertion de mobiliers urbains, d’arbres et de plantes dans le but de rendre les lieux appropriables, accessibles et agréables. Conséquemment, la qualité urbaine attendue s’avère alors plus difficile à atteindre que dans le cas des espaces conçus en intégrant dès le départ l’échelle humaine.
La richesse dans l’aménagement des espaces urbains contribue à une variété d’expériences sensorielles et à l’animation de la ville. « Le confort et la sensation de bien-être que procure une ville sont intimement liés au degré d’harmonisation de la structure et de l’espace urbains avec le corps et les sens humains, de même qu’avec les dimensions et l’échelle qui leur correspondent » (Gehl, 2012).
Dans certains cas, la ville est intervenue plus rapidement dans le processus de revitalisation des espaces publics des centres-villes et a freiné l’expansion du mouvement moderne. Les municipalités ont intégré des principes facilement applicables visant l’amélioration de la qualité physique de l’environnement urbain. Ces différents principes s’observent dans les planifications de plusieurs villes et se retrouvent entre autres parmi les qualités urbaines de Bentley.
Datant du milieu des années 60, la revitalisation du centre-ville de San Francisco est un exemple éloquent de l’application de principes d’aménagement urbain afin de freiner le déclin considérable de son quartier des affaires. Le développement immobilier des vingt dernières années démontrait des impacts dévastateurs de l’urbanisme moderne, au niveau esthétique et environnemental. Avant 1968, le centre-ville était zoné uniquement commercial, sans aucune limite de hauteur, de volume ou de densité. Plusieurs plans de développement urbain furent émis par la municipalité, mettant continuellement de l’avant l’amélioration de la qualité de l’espace public (Vettel, 1985). Le résultat de ces interventions s’interprète par l’application des principes d’analyse du milieu urbain selon les théories avancées par différents auteurs.
Au niveau de la perméabilité, San Francisco recommande fermement l'augmentation du nombre d’espaces publics au centre-ville, tels que : les jardins urbains, les parcs, les plazas, les terrasses, les snippet, les rues piétonnes et les atriums (Vettel, 1985). Bref, « An inviting outdoor environment is vital to provide a place for relaxation and means to escape the rigors of the workplace ». (Vettel, 1985 : 545) L’emplacement de l’espace public se détermine selon l’espace disponible, l’accès au soleil et sa proximité au réseau piéton. Il doit se situer à moins de 900 pieds de distance de marche pour tous les usagers des bâtiments du centre-ville (Vettel, 1985).
De plus, des mesures pour assurer la perméabilité et la robustesse de l’interface entre le bâtiment et la rue sont prises telles que : l’obligation d’insérer des commerces et services publics au rez-de-chaussée, l’intégration de plusieurs entrées au même bâtiment et l’élargissement des trottoirs de surface dur (Vettel, 1985). Dans le même ordre d’idée, Gehl avance le fait que le caractère des façades à l’échelle des piétons provoque un impact déterminant sur la vitalité de l’espace urbain. Les rez-de-chaussée se perçoivent de près, en plus de créer une relation d’entrée et de sortie des immeubles. L’auteur propose des principes essentiels quant aux caractéristiques que doivent prendre les façades longeant les cheminements piétons : l’échelle et le rythme, la transparence, l’appel des sens, la texture et les détails, la mixité des fonctions ainsi que les façades à axes verticaux.
San Francisco avait pour but de créer une expérience piétonne agréable, car la marche était un moyen de déplacement primordial pour la ville. La qualité des parcours piétons, en plus d‘être affectée par la forme physique et la diversité de l’environnement de la rue, se trouve largement influencée par le trafic automobile (Vettel, 1985). Plus récemment, un exemple d’interventions effectuées afin d’améliorer la marchabilité du centre-ville a été mis en oeuvre à Melbourne. Entre les années 1994 et 2004, un nombre important d’améliorations a été apporté dans le cadre d’un projet de rénovation urbaine visant à faire du secteur un pôle d’attraction animé. Une attention particulière a été portée à la conception de nouvelles places publiques qui offrent ainsi différents moyens de se déplacer dans la ville. Le Federation Square présente notamment plusieurs petits passages, ruelles et promenades longeant le fleuve Yarra qui permettent aux piétons et aux activités d’y prendre place. Ce virage piétonnier comprend un élargissement des trottoirs et l’intégration de nouveaux mobiliers urbains, suivi d’une stratégie de verdissement à grande échelle dans le but de protéger les nouveaux trottoirs et de multiplier les milieux ombragés (Gehl, 2012). D’autres interventions récentes ont été mises sur pied concernant plus particulièrement l’intégration des cyclistes. La ville de New York en 2007, a entrepris d’augmenter les possibilités de circuler à vélo dans la ville. Dans leur projet de la 9e avenue de Manhattan, une réflexion a été portée sur la diversité des circulations dans la rue par la délimitation des pistes cyclables grâce aux voitures stationnées. Une stratégie inspirée de ce que les Danois ont instauré dans la ville de Copenhague.
Avant 1968, San Francisco représentait bien l’idéal moderniste du développement unifonctionnel du centre-ville. À cette même année, le centre-ville fut divisé en quatre quartiers au zonage différents, avoir d’apporter le plus de mixité de fonctions possible et de préserver la diversité perceptuelle des espaces (Vettel, 1985). La mixité de fonction et la volonté d’implanter des complexes d’habitations au centre-ville s’avèrent être indissociables à la conception d’espaces publics attrayants pour les résidents (Birch, 2002). Dans les villes de Bellevue et Washington, l’intégration de grands parcs a amené quelques milliers de personnes à s’installer en bordure celui-ci. La ville de Vancouver perçoit aussi les parcs urbains comme une stratégie fondamentale pour inciter les familles à s’installer dans le centre-ville.
Un des éléments restrictifs majeurs instaurés par la ville de San Francisco, est le contrôle de la hauteur, du volume et de la densité des immeubles du centre-ville. Les limitations dans le développement du bâti participent subtilement à l’impact visuel que cela apporte à l’ambiance de la rue. Les voies du centre-ville possèdent, grâce à ces mesures, leur caractère paysager propre et permettent une meilleure lisibilité de l’environnement. L’encadrement des rues par le bâti favorise une continuité et une meilleure orientation dans la ville, en contradiction avec l’implantation de style « tour-dans-un-parc » du modernisme (Vettel, 1985).